© Paul-Henri Pesquet

Irène Drésel : “C’est aux réalisateurs de faire confiance aux femmes”

Le 24 février dernier, Irène Drésel était la première compositrice de l’histoire à remporter le César de la Meilleure Musique Originale pour son travail sur la BO du film “À Plein Temps” réalisé par Eric Gravel. Figure de la musique électro, elle a foulé les scènes des salles de concert et de multiples rendez-vous musicaux. Son dernier album “Kinky Dogma” est sorti en 2021.

Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Je viens de l’image. J’ai été étudiante aux Beaux-Arts de Paris et aux Gobelins. Il y a quelques années, pour une exposition en galerie, j’ai dû ajouter du son sur une vidéo. Après avoir songé à faire appel à d’autres artistes, je me suis dit que je pouvais peut-être essayer. Une fois lancée, j’ai été happée par la création musicale et ça ne m’a plus quittée. J’ai trouvé quelque chose de beaucoup plus agréable, plus spontané dans la musique électronique que dans l’art contemporain.

Quelle place a aujourd’hui l’image dans votre travail ?
J’ai toujours des images en tête. Des images personnelles. Je ne sais pas si les gens qui écoutent ma musique y ont accès ou s’ils voient la même chose que moi. En revanche, je pense que le titre des morceaux peut influencer ce qu’on entend et ce qu’on peut ensuite imaginer.

Et quelle place a l’image sur scène ?
Ça dépend. Toutes les salles ou tous les festivals ne sont pas équipés, ils n’ont pas forcément le budget. Si c’est possible en revanche, je travaille avec l’agence Blow Factory dirigée par Paula Guastella et nous utilisons souvent des visuels issus des clips. J’en ai créé certains moi-même.

“À plein temps” était votre première BO. Comment avez-vous travaillé avec le réalisateur Éric Gravel ?
Je l’ai rencontré via la boîte de production Novoprod avec qui j’avais déjà collaboré dans le passé pour des pubs digitales. Mais la musique de film, c’était nouveau pour moi, hormis une musique de film muet de deux heures pour la Cinémathèque il y a des années. “A plein temps” était un nouveau défi mais j’ai eu la chance de tomber sur un très bon scénario porté par l’excellente Laure Calamy. J’avais d’ailleurs vu le film sans musique et il fonctionnait déjà très bien. Pour sa BO, Éric voulait rencontrer des musiciens, de préférence issus de la scène, et il se trouve qu’il écoutait déjà ma musique. Cela s’est fait naturellement. Quant au travail, il savait ce qu’il voulait. Il connaît très bien la musique et avait des intentions précises : une musique typée années 70 et moderne à la fois.

Que représente le fait d’être la première femme compositrice césarisée ?
C’est fou ! Il n’y a pas d’autres mots.

Quel levier pourrait-on actionner pour une meilleure représentation des femmes compositrices ?
Il y a plus de réalisateurs que de réalisatrices qui travaillent et cela a un effet sur les compositeurs choisis. Il faudrait que les réalisateurs fassent davantage confiance aux femmes. C’est ce qu’il m’est arrivée avec Éric Gravel qui était heureux de travailler avec une femme. Malheureusement, nous sommes encore très peu nombreuses à avoir cette chance. Les femmes sont appelées pour la musique de documentaire ou de film d’auteur mais les réalisateurs se tournent plus naturellement vers des hommes pour des séries ou des grosses productions. Or, nous sommes vraiment capables d’encaisser la charge de travail intense, le stress, la pression, inhérente à l’exercice. Il serait regrettable que l’on engage moins de femmes sous prétexte qu’elles seraient moins endurantes. Il y a par ailleurs un problème de visibilité pour les femmes compositrices. Le soir des César, j’ai discuté avec une Américaine qui m’a dit avoir cherché à travailler avec une compositrice aux États-Unis. Elle avait eu un mal fou à trouver des femmes dans ce métier.

Selon vous, quel est le préjugé le plus ancré à l’égard des femmes musiciennes ?
Quand je rentre dans un magasin de musique, on va plutôt me diriger vers les micros ou les pianos. Cela dit, quand je dis que je fais de la musique électronique, ça n’a pas l’air de choquer les vendeurs.

Dans votre carrière, avez-vous rencontré des freins parce que vous êtes une femme ?
Je ne suis pas très bien placée pour parler de ça. Déjà, parce que nous sommes deux sur scène : mon conjoint et moi. C’est une proposition un peu différente et je ne me considère pas comme une femme seule dans ce milieu. Ensuite, quand on n’est pas programmée sur un festival parce qu’on est une femme, on ne le sait pas. Je ne pense pas qu’un programmateur puisse dire à ma bookeuse : “Non, je ne prends pas Irène Drésel parce que c’est une fille”. Il dira simplement que ça ne l’intéresse pas, qu’il n’aime pas la musique, que ce n’est pas le moment, qu’ils sont déjà complets… Et puis, pour être honnête, je n’ai jamais trouvé qu’il était difficile d’avancer parce que je suis une femme. Même si c’est un milieu très masculin, je trouve qu’on y est très bien accueillies.

Quels sont les modèles qui ont inspiré votre musique, vos clips, votre univers ?
Plus jeune, j’écoutais beaucoup James Holden dans le style musique électro : il a été ma référence pendant de longues années. J’aime également Chloé, Rone, Jacques et Vitalic. En ce qui concerne mes inspirations en lien avec l’image, j’écoutais énormément Coco Rosie. Leur esthétique a influencé la mienne.

Pour en découvrir plus sur le travail d’Irène Dresel, consultez son site.

Interview : Morgane Giraudeau