Darius Marder © Tandem Films

Darius Marder : le réalisateur de l’oscarisé “Sound of Metal” à Sœurs Jumelles

Le cinéaste américain sera présent au Festival avec son ingénieur du son Nicolas Becker pour un échange à l’issue de la projection de son film oscarisé Sound of Metal, le 30 juin à 14h, à l’Apollo Ciné 8. Ultra-sensible et offrant une expérience immersive inédite, le long-métrage dépeint la perte auditive du batteur d’un groupe à succès qui, désespéré, doit apprendre à vivre avec son handicap.

Comment est né le scénario de Sound of Metal ?

En travaillant avec mon ami, le réalisateur Derek Cianfrance avec qui j’avais écrit The Place Beyond the Pines. Il essayait de créer un documentaire hybride sur Jucifer, un groupe de métal composé d’un homme et d’une femme voyageant ensemble sur les routes dans un gros combi. C’est l’un des groupes de métal les plus bruyants qui ait jamais existé. Les deux membres devaient jouer leurs propres rôles dans un film qui imaginait la perte d’audition de l’un d’eux. Intéressant d’un point de vue narratif mais aussi du point de vue du son et de l’image. Ce projet non abouti a été l’embryon de Sound of metal que j’ai repris sans Derek.

Comment avez-vous travaillé sur le design sonore, récompensé par un Oscar en 2021 ?

Dire qu’il y a eu beaucoup de travail sur le son et la bande-son est un euphémisme. Le challenge était tel qu’il n’était presque plus question de point de vue mais de point de son. Le film se raconte plus à travers ce qu’entend le héros qu’à travers ce qu’il voit. Je voulais créer un voyage sonore : on part de la musique la plus forte dans le premier plan pour aboutir au silence. Quand j’ai fini d’écrire le scénario avec mon frère, il comportait trois actes : l’acte un, c’est “sound” (son). L’acte deux, “of” qui signifie faire partie de. Cet acte est très silencieux. Et le dernier acte, c’est “metal” (métal), le retour à un son presque alien. Cette évolution raconte ce qui se cache finalement derrière leur musique, une façon d’exorciser leurs démons…

Comment avez-vous travaillé avec l’ingénieur du son Nicolas Becker ?

Je cherchais un artiste prêt à explorer les sons biologiques et diégétiques (un son émis par un personnage ou un objet dans l’univers du film, NDLR). Pas seulement les sons informatiques et les librairies digitales. Je voulais créer un voyage sonore. J’ai commencé à travailler avec Nicolas avant de commencer à filmer, ce qui est assez particulier et peu répandu. Nous sommes allés dans un musée du son à Paris. Il y avait là une pièce qui supprimait tous les sons. C’était fascinant, c’était comme si tout le son était absorbé par notre corps dont on commençait à entendre les craquements. On s’est dit : pourquoi ne pas travailler avec les sons des acteurs et ceux de leur corps ? C’est devenu notre paysage sonore.

Dans le film, Ruben est batteur. Comment avez-vous choisi les différentes chansons ?

Il y a d’abord celles du groupe, dures, avec un côté punk. Cette musique est là pour réveiller les spectateurs, aiguiser leurs sens, frapper fort. Puis ce son se transforme en Bessie Smith, un jazz un peu vintage, d’un autre temps. C’est le sanctuaire de la relation entre Ruben et sa copine. Nous avons aussi utilisé un morceau de piano de Thomas de Hartmann qui traduit une forme de spiritualité et tout ce à quoi le héros doit renoncer. Ce morceau s’appelle “Rejoice, Bellzebub!”. Il incarne vraiment la lumière et la douleur de l’expérience de Ruben qui devient sourd. La chanson tragique qu’Olivia Cooke chante avec Mathieu Almaric à la fin du film a été écrite par Arthur H… Le film a une bande-son très intense sans être omniprésente. C’est grâce à cela qu’on l’écoute encore plus profondément.

Pour en revenir au groupe de Lou et Ruben, comment avez-vous choisi leur musique ?

J’ai été inspiré par le groupe Jucifer. Il a vraiment été la source, la racine de ce projet. Ils sont si bruyants que quand la chanteuse joue de la guitare, on peut voir ses cheveux voler derrière elle. Ce bruit est vraiment essentiel dans le film parce qu’on part de la musique la plus forte, dans le premier plan, pour arriver au silence absolu à la fin. Cela soulève plusieurs questions : qu’y a-t-il derrière cette musique ? Pourquoi jouent-ils cela ? Et la réponse est simple : c’est un exorcisme. Ils sont sur scène pour extérioriser leurs démons. Leur musique symbolise ce qu’ils sont en train de vivre et ce qu’ils essaient de fuir.

Comment avez-vous travaillé avec l’acteur Riz Ahmed ?

Il a d’abord appris la batterie. Ensuite, pour les scènes de concert, on filme normalement l’un des musiciens en train de jouer, puis l’autre, et ensuite on passe aux plans de coupe du public. J’ai décidé de prendre le contrepied et de filmer mes acteurs en train de jouer ensemble avec le public derrière eux, sans aucune coupe. Ça a demandé beaucoup de travail mais ça a vraiment planté le décor de façon réaliste. J’ai fait la même chose avec la langue des signes. Riz avait des implants sonores qui émettaient du bruit blanc et que je contrôlais depuis mon téléphone. Même entre les prises, il ne pouvait pas m’entendre. Il ne faisait pas semblant d’être sourd, il le devenait réellement. Les entendants écoutent parfois mal. Etre isolé du bruit amplifie l’implication et l’engagement.

Cette projection est proposée en version sous-titrée pour les sourds et malentendants.
Propos recueillis par Morgane Giraudeau

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