Chanteuse, autrice, productrice et directrice artistique, Amel Bent a su gagner son indépendance artistique. Artiste aux multiples talents, elle est l’invitée de l’une des Conversations Artistiques de Sœurs Jumelles, ce 29 juin. Elle accompagnait aussi lors du Festival la projection gratuite et jeune public du film d’animation Yeti & Cie à l’Apollo Ciné 8.
Quelle place a l’image dans votre travail ?
J’ai mis du temps avant de me dire que ça faisait partie d’un tout. Quand on a une passion, on rêve de pouvoir en vivre mais il y a un temps d’adaptation pour comprendre à quel point tout compte. Moi, au départ, je chantais et je n’avais aucune conscience de l’image et de ce qu’elle pouvait apporter ou comment elle pouvait parfois desservir un projet. L’image a été très secondaire à mes débuts. D’ailleurs, je n’étais pas très impliquée dans l’écriture des clips. Je me laissais volontiers habiller, coiffer et maquiller. J’avais la naïveté de penser que ma voix suffisait à déterminer qui j’étais et ce que j’avais envie de partager avec le monde. Mais on se rend vite compte que les gens s’accrochent aussi à des visuels, à la lecture que l’image peut donner d’une chanson. À l’écrin qu’ajoute l’image. Pour ma part, il y a eu l’avant et l’après clip de Nouveau Français. C’est la première fois que l’image me desservait… J’ai alors compris que le message d’une chanson dans laquelle vous aviez mis votre coeur pouvait être totalement dévoyé par des images. J’en ai souffert, non pas à cause de la polémique mais parce que j’avais fait une erreur basique. J’avais le choix d’imager autrement mais je n’ai pas pris la bonne option… Je me suis alors dit qu’il allait falloir que je défende mes chansons jusqu’au bout pour qu’on ne déforme pas mon propos. ll fallait que j’arrête de me laisser raconter en images. Dès lors, j’ai co-écrit ou écrit les synopsis de tous mes clips.
Vous êtes devenue productrice, co-autrice et directrice artistique de vos clips ?
Au début, venant d’un télé-crochet, je me suis sentie infantilisée, à la merci des gens qui gravitaient autour de moi. J’avais l’impression de ne pas manger à la table des adultes. À un moment donné, je me suis dit que je n’allais pas grandir, je n’allais pas comprendre mon milieu professionnel. Même si j’ai travaillé avec des gens très honnêtes qui m’ont beaucoup appris, j’avais l’impression que c’était juste “chante et tais-toi”. En 2010, à peu près cinq ans après mes débuts, je commençais à étouffer et je ne me sentais pas responsable de mon destin. Les choses se faisaient sans moi. J’ai alors pris une décision : j’ai demandé mes dossiers à ma fiscaliste et je lui ai dit “On arrête-là” , même chose pour mon avocat. J’ai appelé tous les organismes avec lesquels je travaillais, j’ai commencé à assister aux réunions en tant que manager et j’ai découvert les dessous de ma vie d’artiste : les budgets, le marketing, la pub, les abattements… J’ai repris tous mes contrats et j’ai appelé la SACEM, Adami, Agessa, Spedidam, RSI, l’URSSAF… Et là, j’ai eu un déclic : pourquoi ne pas devenir co-productrice? Je suis allée à la Chambre des commerces de Bobigny et on m’a expliqué comment monter mon entreprise. Je l’ai créée en 2011 et 12 ans plus tard, c’est la boîte qui produit mes tournées et coproduit mes albums avec Universal. J’ai fait ça toute seule. C’est peut-être ma plus grande fierté.
Comment choisissez-vous les réalisateurs de vos clips ?
J’ai toujours une pudeur artistique. Dans mes chansons, je ne veux pas qu’on en sache plus sur ma vie ou sur mon histoire. Mais j’essaie de raconter une émotion à travers une histoire ou des images qui forment un film. Je choisis les réalisateurs par rapport à leur sensibilité émotionnelle. Je regarde ce qu’ils font. Ma cheffe de projet, Sonia, a la même vision que moi : on a des rêves poétiques et on essaie de les faire vivre à l’écran en prenant en compte les budgets et tous les paramètres techniques. Mais la quête est toujours la même : trouver quelqu’un qui capte ce que le morceau cherche à faire ressentir. D’ailleurs, j’envoie toujours la chanson en amont en demandant ce que la personne ressent. C’est la première prise de contact. Et s’il y a connexion dès le départ, le réalisateur a la liberté de proposer tout ce qu’il a en tête. J’ai moi aussi des images en tête que je cherche à respecter ou à honorer. Ensuite, on essaie de construire ces images avec le budget alloué.
Vous avez joué dans le téléfilm “Les Sandales Blanches”. Jouer la comédie, est-ce aussi trouver sa petite musique ?
Au début, j’étais complètement contre le fait de jouer la comédie. J’avais encore peur malgré les doublages de films d’animation que j’avais pu faire. Après avoir accepté le rôle, j’ai d’ailleurs vite rebroussé chemin. C’était un rôle compliqué avec plusieurs espaces-temps. Une grosse charge pour des premiers pas. En fin de compte, ce qui m’a convaincue, c’est l’histoire. Entre artistes, on se sent un peu frères et sœurs, on trouve de soi dans l’histoire de l’autre : le destin de Malika Bellaribi m’a touchée, je me suis sentie très proche d’elle. L’autre difficulté était le chant : je ne chante pas de lyrique, j’en suis incapable, bien que cette musique me touche énormément. Donc c’était aussi extrêmement compliqué de doubler la voix chantée. C’est même probablement plus dur pour un chanteur que pour un acteur. On doit déconstruire ses tics car on finit malgré tout par avoir ses propres manières, sa propre posture. J’ai dû travailler avec un chanteur d’opéra et Malika Bellaribi m’a coachée physiquement. Contrairement à la variété française, le chant lyrique est très codifié.
Valoriser les talents féminins est un enjeu majeur pour le Festival Sœurs Jumelles. Veillez-vous à vous entourer de femmes dans votre travail et quel frein ou stéréotypes rencontrez-vous en tant que chanteuse ?
Issue d’un vrai matriarcat, je ne peux que compter sur les femmes puisque c’est avec les femmes, pour les femmes et à travers les femmes que je me suis construite. Je n’ai jamais eu aucun préjugé et je n’en aurai jamais sur les capacités ou les qualités des femmes. J’ai la certitude qu’une femme peut absolument tout faire. En revanche, je fais face à des situations que j’essaie de corriger, grâce à mon statut de productrice. Par exemple, sur scène, j’ai deux choristes et quatre musiciens. J’ai voulu comprendre pourquoi des personnes qui utilisent leur physique comme instrument étaient généralement moins payées que les musiciens qui, une fois qu’ils ont posé leur instrument, peuvent aller boire un verre. Etre choriste implique au contraire une hygiène de vie irréprochable et un engagement physique de tous les instants. L’écart de cachet me semblait injustifié et j’ai mis tout le monde au même tarif. J’ai baissé le mien pour pouvoir augmenter le leur. L’injustice était trop grande pour les chanteuses, et pour les femmes. Ça ne change pas le monde mais je me dis que ça donne des pistes et de la force.
Pourquoi avoir accepté de participer à une Conversation Artistique au Festival Sœurs Jumelles ?
J’ai été flattée qu’on puisse m’accorder cette confiance. Julie m’a dit qu’elle m’avait entendu à la télé et qu’elle voulait me proposer d’aborder d’autres aspects de mon métier, de prendre un angle différent. Dans une société qui aime mettre les gens dans des cases, j’adore l’idée qu’on puisse donner la chance à quelqu’un de s’exprimer sur autre chose, d’une autre manière, face à un autre public. Je suis vraiment honorée par cette demande.
Propos recueillis par Morgane Giraudeau
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